En 1848, une partie du peuple de Paris se soulève et prend le contrôle de la capitale. Le roi Louis-Philippe est contraint d’abdiquer. Le 24 février, acculé par les événements, il s’enquiert auprès des généraux réunis autour de lui : « La défense est-elle encore possible ? » Le silence qui lui répond est glaçant. Il murmure alors, défait : « J’abdique. » Après 17 ans de règne, il dépose la couronne, préférant l’exil à l’humiliation publique.

À peine l’encre de son abdication séchée, le vieux roi abandonne son uniforme et son bicorne pour une redingote austère et un chapeau rond. Sur la route de l’exil, Louis-Philippe, brisé, répète sans fin, comme une litanie funeste : « Pire que Charles X, cent fois pire que Charles X… » Le roi déchu, désormais simple « Monsieur Smith », quitte la France incognito, le 2 mars 1848. À bord d’un paquebot, il atteint les côtes anglaises. L’histoire retient alors un homme qui se croyait confortablement assis sur un trône, mais qui termina en « dindon de la farce ».

Le « ballet des dindons »

D’où vient cette étrange expression qui nous amuse tout en désignant une situation peu enviable ? Si l’idée de la « farce » ne pose guère de mystère, le dindon, lui, intrigue. Pourquoi ce gallinacé un peu vaniteux et pataud s’est-il retrouvé associé à l’art de duper autrui ? Un dindon, on le plume facilement, et dans le langage populaire, cela revient à dire qu’il se fait duper. De plus, étant souvent servi farci, il n’en fallait pas davantage pour qu’on associe cet animal à l’idée d’une farce, dans tous les sens du terme. Mais les origines de l’expression sont multiples et parfois plus cruelles.

L’expression pourrait trouver sa source dans un spectacle forain cruel et populaire au XVIII^e siècle, le « ballet des dindons ». L’événement consistait à placer des dindons sur une plaque de métal chauffée. Sous l’effet de la chaleur, les pauvres volatiles se mettaient à sautiller frénétiquement, donnant l’impression d’un ballet absurde. Un musicien accompagnait ce « spectacle », provoquant l’hilarité des spectateurs. Bien que l’attraction fût interdite en 1844 pour sa cruauté, son souvenir a laissé une empreinte durable. Le dindon, forcé à danser contre sa volonté, incarne parfaitement l’idée d’une victime manipulée pour l’amusement des autres.

Un dindon humain

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D’autres hypothèses, plus terre à terre, existent. Depuis longtemps, la farce, que les jeunes d’aujourd’hui appellent plus volontiers un « prank », est ancrée dans la tradition populaire. Faire des farces était, sous le Premier Empire, synonyme d’avoir « une conduite déréglée ». La pièce comique « Je fais mes farces », écrite en 1815 par Désaugiers, dans laquelle un personnage joue des tours de mauvais goût aux habitants de la capitale qu’il rencontre sur son chemin, est un grand succès.

À LIRE AUSSI D’où viennent les étrennes ?Pour faire une bonne farce, il vous faut, bien sûr, une belle dose d’inventivité, mais surtout une victime assez crédule. Une sorte de dindon humain. Il fait dire que ce drôle d’oiseau est réputé pour sa vanité et son apparente sottise. Il était souvent tourné en dérision. Sa posture cérémonieuse, son habit noir assorti de sa crête rouge, et sa démarche maladroite en font une cible idéale.